Le Questionnement Ethique

L’entrée des nouvelles technologies dans le champ de la médecine fait apparaître de nombreuses interrogations éthiques, comme chaque progrès technique et scientifique a été accompagné de son lot de questionnements.

1 Historique:

Le maintien à domicile des patients déments est une préoccupation des pouvoir publics depuis le XVIII ème siècle. Les motivations étaient alors strictement économiques, et visaient à économiser l’argent public tout en portant assistance aux « vieillards » comme le rapporte le Conseil Général des Hospices en 1801. Lui-même s’appuyait sur les bases jetées par le Comité de Mendicité qui en 1791 envisageait le « secours à domicile » comme le « secours ordinaire », et ne recommandant « l’asyle public » (l’hospice) que pour les indigents (Nardin A., Musée de l’Assistance Publique, Hôpitaux de Paris, Archives du Comité de Mendicité). Les faits ont pourtant, jusque dans les années 1950, amené au recours majoritaire aux hospices, du fait de l’éclatement de la cellule familiale en période de forte industrialisation.

Le maintien à domicile est réapparu à notre époque comme souhaitable et à défendre, sur des arguments humanistes ainsi qu’économiques.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont accompagné en parallèle la modernisation de la médecine, de l’ordinateur personnel ou téléphone portable. Sur le plan thérapeutique, leur intégration au processus de soin a toujours été plus prudent.

La télémédecine par exemple est une technologie récente, dont l’intégration dans le champ de la médecine a suivi les progrès technologiques. En effet, ce n’est que dans les années cinquante que des conférences de chirurgie sur circuits fermés ont été réalisées. Dans les années soixante, les premières applications pratiques ont vu le jour, au Texas et en Norvège, pour résoudre des problèmes géographiques. En France, il a fallu attendre le 8 novembre 1994, pour qu’ait lieu la première démonstration de télémédecine : un examen scanner à rayons X avait été piloté depuis l'Hôtel-Dieu de Montréal sur un patient situé dans l'appareil de l'Hôpital Cochin, à Paris. En 2001, une opération de téléchirurgie a été réalisée entre New York et Strasbourg.

Les nouvelles technologies représentent toutefois de nos jours des défis éthique, juridique, relationnel nouveaux pour la médecine, ce qui est encore plus vrai dans le cadre des gérontotechnologies.

2 Les questionnements :

La principale crainte liée aux nouvelles technologies est la peur de l’hyper surveillance. Les inquiétudes liées à l’influence des nouvelles technologies sur notre pratique sont nombreuses. L’écrivain contemporain Aldoux Huxley par exemple a formulé dans « Le meilleur des mondes », dès 1931 ses craintes d’un « meilleur des mondes » technologique qui verrait disparaître la médecine « considérée comme un art, incertain et faillible ». Il prédisait ainsi que « s’affirmant désormais comme une science exacte, aspirée par la déferlante des cyber-technologies », elle ne laisse des machines « assister le médecin, et pourquoi pas, le remplacer ». Le patient risquant de devenir une « base de données gérable à distance » et le médecin un « manager de santé ». Dans la même optique, Jacques Attali (Une brève histoire du futur, 2006) a pu poser le problème de la « surveillance, maître mot des temps à venir ». Pour lui, « des caméras miniatures, des senseurs électroniques, des biomarqueurs [..] permettront à chacun de mesurer en permanence les paramètres de son propre corps », et cela lui fait craindre que cette médecine ne fasse « de chacun son propre gardien de prison ».

Les gérontotechnologies, de par la nouveauté qu’elles représentent, interrogent l’éthique médicale, car il convient de déterminer si elles sont compatibles avec les principes déontologiques qui régissent notre pratique, tels que le respect du secret médical, surtout lorsque des sociétés privées interviennent dans la sauvegarde des données.

Et plus fondamentalement, il existe une interrogation sur la possible déshumanisation de la relation médecin-malade soulignée par le Pr Grémy (On a encore oublié la santé, Grémy et Priollaud, 2004) qui redoute « l’ivresse technolâtrique »

3 Sur le plan éthique :

L’éthique vient du grec ethos, signifie comportement, et désigne la façon dont on doit se comporter. La pratique de la médecine sera guidée par diverses références comme le Code de Déontologie, aux articles 2 , 8, 37, dans le Code Européen de la Santé (Laude, 2009), voire dans la Déclaration des Droits de l’Homme (ONU, 1945), ou encore les travaux d’experts à l’initiative du Professeur Blanchard (Alzheimer : l’éthique en questions, 2007).

Les grands principes de l’éthique médicale sont : le principe d’humanité et de dignité de l’être humain, le principe de solidarité entre individus et de collégialité de la prise de décision, le principe d’équité et de justice qui pousse à éviter l’acharnement thérapeutique, et le principe d’autonomie de la personne. Ces principes doivent aussi guider la prise de décision en ce qui concerne les gérontotechnologies. Mais dans ce domaine, il existe aussi la notion de « futilité » (Stefanov D.H. et al, 2004) du traitement ou de l’intervention non indispensable, qu’il faut garder présent avant d’y soumettre un patient.

Les difficultés liées aux questions éthiques dans le domaine des gérontotechnologies sont dues à leur ambivalence. N’étant ni bonne ni mauvaise à priori, une géolocalisation par exemple peut être perçue comme une atteinte aux libertés individuelles, aussi bien qu’une possibilité d’augmenter la liberté d’une personne, qui n’aurait plus besoin d’être surveillée en permanence, voire limitée dans ses déplacements (J. Pelissier et al, 2008).

Certains auteurs (P. Métais et al, 2008) on tenté de trouver un juste équilibre, lorsqu’ils proposent de classer les techniques en fonction de leur degré d’atteinte potentiel à la dignité et à la liberté du patient. En effet, ils jugent que les techniques adaptées à l’alerte sont moins intrusives que celles dédiées à la surveillance, car elles ne se déclenchent qu’en cas de problème, et ne constituent pas un moyen de surveillance continu. Un autre principe intéressant du même auteur est celui de la technologie ne remplaçant pas l’intervention humaine à priori, mais s’y substituant lorsque les ressources humaines sont insuffisantes.

Enfin, dans certains cas extrêmes, il convient de se rappeler aussi que la limitation de la liberté du patient peut être envisageable en dernier recours si il peut représenter un danger pour lui même ou autrui.


4 Sur le plan juridique :

Dans le cadre particulier de cette thèse, un problème majeur concerne l’obtention du consentement éclairé d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, puisqu’il ne pourra, à un stade avancé de la maladie, donner son accord pour être soumis à une surveillance qui pourrait porter atteinte à sa dignité. A-t-on le droit de limiter les libertés individuelles chez des patients incapables de donner leur consentement éclairé pour être soumis à diverses techniques de surveillance ? Comme le rappelle le Pr Blanchard (Alzheimer : l’éthique en questions, 2007), sur le plan juridique, à l’interrogation sur le non respect de la personne, une loi permet de répondre et garantir au patient un respect de ses droits et de sa dignité. En effet, la loi Kouchner du 4 mars 2002 impose le recueil d’un consentement éclairé pour tout patient exposé à un acte médical. Dans ce cas précis, le curateur, tuteur ou la « personne de confiance » peut agir dans l’intérêt d’un malade dont les fonctions cognitives seraient diminuées. Il est même possible à un patient de rédiger, alors qu’il possède encore des ressources suffisantes, des « directives anticipées » ou « testament de vie » pour définir ce qu’il souhaite ou accepte comme prise en charge ou soins. Elles sont révocables à tout moment, c’est ce que garantit par la loi Leonetti du 22 avril 2005. Mais certains auteurs souligneront le manque d’encadrement juridique de ces technologies précises (J. Pelissier et al, 2008), qui ouvre la porte « à toutes les dérives et à toutes les culpabilités ».

De même, La Commission Nationale Informatique et Libertés a pour fonction de donner son avis sur toute initiative publique impliquant des technologies et risquant de mettre à mal les libertés individuelles, et son avis serait nécessaire au processus de mise en place des gérontotechnologies à grande échelle. Le premier article de la loi informatique et libertés rappelle que « l’informatique doit être au service de chaque citoyen », qu’elle « ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques », elle sous entend donc une finalité légitime à l’utilisation de données personnelles, et précise que les données ne peuvent pas être utilisées à des fins sortant précisément du cadre de leur mise en œuvre (pas d’utilisation hors du champ de la médecine).

Concernant la sécurité des données informatiques, il existe un vrai danger en cas d’intrusion sur le réseau, où de piratage des adresses IP des capteurs mis en réseau sans fil. Mais les technologies de l’information et de la communication ont toujours été employées pour transmettre des informations médicales, et il existe des moyens de sécuriser des réseaux.

5 Sur le plan scientifique :

Au niveau scientifique, on trouve dans plusieurs études (P. Métais et al, 2008 ; J. Pelissier et al, 2008, Martin S. et al, 2008) des ébauches de réponses à ces questionnements, qui ont le mérite d’exister si elles ne sont pas consensuelles. Dans le dernier exemple cité, l’auteur fait une synthèse d’éléments fréquemment jugés importants dans l’utilisation de capteurs sur des personnes dépendantes. Ils ne devront pas être invasifs, faciles d’utilisation sans gêner l’autonomie du patient, ne pas être bruyants ou vibrants, mais aussi être fiables, demander peu d’énergie, être sans fil, et automatiques. Ceci dans le but de ne pas gêner le patient et être éthiquement acceptables.

6 Sur le plan de la relation médecin patient :

Toutes les gérontotechnologies sont susceptibles de modifier, voire porter atteinte à la relation médecin patient. Pour aborder le sujet, nous pouvons nous reporter aux travaux de Vincent Rialle (technologie et Alzheimer, V. Rialle, thèse, 2007), qui a étudié les technologies en sondant l’intérêt et les craintes des utilisateurs finaux.

Les résultats sont intéressants, ils permettent de montrer que les aidants de patients atteints de maladie d’Alzheimer sont en majorité favorables à une plus grande utilisation des nouvelles technologies, et particulièrement à l’emploi de systèmes de géo-localisation, dont on aurait pu croire qu’ils produiraient le plus de craintes quant au respect de la vie privée. Il reste bien sûr toujours une partie importante des aidants qui sont hostiles à ces usages (45% dans son étude), et certaines technologies ne font pas l’unanimité, comme les robots de compagnie. Les aidants sont, dans l’ensemble, favorables aux outils permettant de maintenir un contact ou un lien social, et restent dubitatifs face à tout ce qui n’est pas indispensable et qui relève du gadget. D’autres études vont dans le sens de patients ouverts aux nouvelles technologies malgré des à priori, en montrant que les patients soumis à une intervention de télémédecine par exemple perdent leurs préjugés négatifs après l’avoir essayé (Demiris et al, 2001).

On trouve dans certaines études concernant les gérontotechnologies des réticences de certains médecins à les employer (Hsu Y-L., 2007), alors que d’autres sondages montrent que 91% des médecins sont favorables à l’utilisation des nouvelles technologies dans le cadre de l’exercice médical (Annexe IX-6). Nous espérons qu’une plus grande information permettra de rendre naturel leur emploi sans porter atteinte à la relation médecin malade. Seule leur plus large diffusion, correctement encadrée, permettra de répondre à cette interrogation.

Selon V. Rialle, « le recours aux nouvelles technologies doit permettre d’enrichir la présence humaine auprès des personnes âgées, en promouvant une meilleure coordination. L’utilisation des nouvelles technologies n’a d’intérêt que si l’on souhaite privilégier une démarche de prévention gérontologique et de solutions personnalisées aux besoins et aux situations concrètes des personnes âgées, à domicile tout particulièrement ».

7 Conclusion :

Nous pourrons retenir en conclusion une synthèse de quelques principes pratiques qui guideront la réflexion (Domicle Autonomie et Technologies, 2009):

-La technologie doit être un support à la socialisation et non s’y substituer.
-La technologie ne doit jamais être perçue comme intrusive, elle doit être acceptée.
-Les visites à domicile et les sorties de la personne âgée doivent continuer, voire être facilitées par la technologie.
-La technologie doit pouvoir prendre le relais dans les moments de solitude et de danger.
-La technologie doit présenter l’interface la plus simple possible.